Anthologie du Haïku

Les anthologies de haiku disponibles en France en proposent une approche segmentée, fragmentaire, faisant souvent fi des auteurs, toujours des recueils et des contextes de publication. Elles transmettent l'idée que ces dix-sept sons, la plupart du temps répartis en trois séquences rythmiques (5/7/5), forment autant de petits mondes, clos sur eux-mêmes, qu'on lit et qu'on goûte indépendamment les uns des autres, comme suspendus dans l'éther.
Rien ne saurait être plus contraire à la façon dont le haiku se pratique au Japon depuis l'époque où il s'est constitué en tant que genre à part entière autour de Masaoka Shiki, à la fin du XIXe siècle. Écriture poétique quotidienne, nourrie de la vie même de ses auteurs et autrices, le haikai relève bien davantage du journal poétique au long cours, sans cesse retravaillé au fil de recueils et de publications soigneusement composés : les textes se répondent les uns aux autres, se suivent, s'opposent, se commentent. Ils ne peuvent se lire et se comprendre qu'en bloc.
En retraçant dans le plus grand des détails la vie de chaque haijin, en donnant à lire, bien souvent pour la première fois, une multitude de textes inconnus (haiku d'abord, mais aussi essais, commentaires, textes en prose), Pascal Hervieu donne au public français l'occasion de saisir la pleine singularité de cette poésie, enfin incarnée. Car le haiku est d'abord l'œuvre d'hommes et de femmes de chair et d'os, à la rencontre desquels ce volume nous porte, dans un geste lui-même de pure poésie. En filigrane, c'est aussi l'histoire et la vie quotidienne du Japon au XXe siècle qui se donne à lire, marquée par tant de tragédies (tremblement de terre de 1923, régime autoritaire des années 1930-1940, violence de la guerre qui culmine avec Hiroshima et Nagasaki), mais aussi par une modernisation spectaculaire qui va de pair avec un attachement jamais démenti aux rites et à la tradition : de cela aussi, le haiku a su rendre compte.